Tout n’est pas négatif dans la tradition

Merci, Majesté, de nous recevoir. votre protocole nous a informés que vous ne parliez pas n’importe comment…

(Il sourit) C’est moi qui vous remercie de l’intérêt que vous accordez à notre patrimoine culturel. Je suis impressionné de voir que des jeunes viennent spontanément s’abreuver à source de la culture de leur pays. Je suis disposé à échanger avec vous. Sentezvous à l’aise. Vous pouvez me poser toutes les questions.

En 1992, vous devenez le 19è roi des Bamoun. vous meniez une vie «moderne». Qu’avez-vous ressenti à ce moment-là ?

(Calme) J’ai fait peut-être 40 ans à servir dans des ministères. Et puis un beau jour, on me dit que mon père, le sultan, est passé de vie à trépas. A ma grande surprise, je ne savais pas que c’est lui qui m’avait désigné comme successeur. Imaginez-vous, un jeune homme de 50 ans, comme moi à l’époque, qui menait une vie normale. Monogame avec des enfants…

Et tout d’un coup, vous êtes sultan dans un royaume avec une histoire, sa culture et ses habitudes. J’étais perdu. Je me demandais comment j’allais m’en sortir. Moi, j’aimais aller danser. J’allais en boite de nuit, au cinéma. J’avais des amis, Sadou Daoudou par exemple, que je fréquentais, et voilà que je vais aller en prison. Je ne comprenais pas...

Quelle a été la réaction de votre épouse à l’époque ?

(Il esquisse un léger sourire) Mon épouse n’était pas Bamoun. C’était une métisse Batanga. Elle n’a pas pu supporter. Je la comprenais. Même mes enfants qui sont adultes maintenant, (vous connaissez certainement l’un d’entre eux qui est président de la Fédération camerounaise de football), ne comprenaient plus rien. Ils ne pouvaient plus s’asseoir à table avec leur père, parce que c’est interdit par la tradition. Devant cette situation, on est obligé de faire un mariage de raison entre la tradition et la modernité.

La tradition Bamoun est pourtant si bien conservée depuis 1394 date à laquelle nshare Yen a fondé le royaume. en quoi la modernité la menacerait-elle, pour que vous éprouviez le besoin d’effectuer ce mariage de raison ?

(Posé) C’est un mariage de raison, parce que nous sommes jaloux de pouvoir garder notre identité culturelle. Mais, on ne peut pas ignorer que nous sommes en 2019. Si vous oubliez, vous êtes en retard d’un siècle. Alors, on est obligé de s’adapter à cette réalité, tout en restant Bamoun. Il s’assoit là [il désigne l’un des membres de notre délégation qui est fils du terroir, Ndlr].

Mais en temps normal, il ne pourrait pas, parce qu’il sait que c’est interdit. Si un autre Bamoun le trouve à cette place, il lui ferait de vifs reproches. Mais il y a aussi des choses dans la tradition qu’on ne peut pas faire, car contraires à la modernité. Je citerai par exemple, les mariages forcés. Ce que nous faisons maintenant, c’est de récupérer ce qui est récupérable ; adapter, ce qui est adaptable.

Moi, j’étais obligé de m’adapter à cette tradition, ici, qui est très rude, très rigoureuse. Je suis un ancien ministre et sénateur aujourd’hui, qui sont d’autres réalités. Donc, forcément, il faut trouver l’équilibre.

Ce discours sur l’adaptation, vous le teniez déjà bien avant votre intronisation. avezvous l’impression d’avoir été compris ?

(Calme) Quand j’étais Commissaire général à la Jeunesse, au Sport et à l’Education populaire, en 1964, pendant mon premier voyage à Foumban, j’avais tenu un discours, en disant aux Bamoun qu’il faut savoir que les choses ont changé. Il faut commencer à vous y préparer. Car, il y a des choses dans la tradition qu’on ne peut plus accepter. Je vous donne un exemple. Mon grand-père Njoya avait 200 femmes. Mon père en avait une cinquantaine. Alors, je leur ai dit : on ne peut pas combattre cette réalité, mais le temps le fera. La modernité aussi.

Justement parlant de la polygamie qui a été adoptée par votre grand-père et perpétuée par votre père. comment la vivezvous, ayant été monogame ?

Aujourd’hui, avoir une femme, c’est déjà beaucoup (éclat de rire). Alors, si on vous dit que vous devez adopter la polygamie, iriez-vous cultiver la terre pour vous en occuper ? Pendant ce discours à Foumban, j’avais déjà indiqué à la communauté qu’il arrivera un jour où vous verrez le sultan avec deux ou trois femmes seulement.

Car, les choses ont changé. Les femmes sont émancipées. Aujourd’hui, la femme Bamoun est coquette sous les oripeaux de la modernité. Elle fait le «nyanga», comme on dit. A notre époque, nos mamans ne mettaient pas de rouge à lèvres, par exemple.

Doit-on comprendre que vous n’avez pas suivi votre père en prenant autant d’épouses ?

(Il sourit) Ah ! Pour parler de mon cas, j’ai seulement huit femmes (éclat de rire). Si je devais respecter la tradition, certaines d’entre vous n’allaient pas rentrer (rire).

Souvent, la tradition est peinte comme quelque chose de négatif. Certains rites sont apparentés à la sorcellerie.

Quel est votre analyse sur ce fait ? (Posé) Tout n’est pas négatif dans la tradition. Il y a aussi de bonnes choses. C’est pour cela que je vous encourage à sauver ce qui peut être sauvé. Je vous raconte une anecdote. Quand je deviens sultan en 1992, j’arrive dans une région où les gens ont conservé beaucoup de choses. Je me demande comment je vais m’en sortir. La première chose que je décide de faire, c’est de sauvegarder le patrimoine.

Le musée de Foumban était à l’entrée du palais. Je crois qu’on vous l’a expliqué. J’ai dû faire transporter les objets qui y étaient exposés pour le deuxième étage du palais où des pièces ont été aménagées pour cela. Car, les gens allaient tout ramasser. On a pu récupérer 1/3 des objets. Le reste était dans les magasins un peu partout. On nous a volés des objets d’art. Par miracle, nous avons pu sauver quelques-unes. Il fallait absolument préserver cette richesse. Voilà pourquoi, j’ai demandé à faire construire un musée digne de ce nom. Un architecte bamoun, Issofou Mbouombouo, a bien représenté les emblèmes du peuple dans cet édifice.

Des clichés peignent les Bamoun comme des personnes fourbes. ils se réfèrent à l’un des symboles de votre peuple qui est le serpent à deux têtes. Qu’en est-il ? Faut-il vraiment faire confiance à un Bamoun les yeux fermés ?

(Il sourit) Le serpent à deux têtes signifie simplement que le peuple Bamoun est un peuple de guerriers. Vous l’attaquez par derrière ou par devant, il répondra. Il y a également la double cloche, que l’on ne sonne qu’en cas de guerre. Si je la sonne, le peuple saura qu’il y a danger, que c’est la guerre et il va me suivre armé. Il y a aussi l’araignée qui est un symbole de travail. Nous avons fait ce musée là avec tous ces emblèmes. Les gens m’ont demandé pourquoi je l’ai construit. Je l’ai construit, parce que pour moi, c’est la lutte de la mémoire contre l’oubli. Nous avons terminé les travaux. Maintenant, nous attendons l’inauguration que nous aimerions être faite par le Président de la République. Mais vu son agenda chargé, nous restons en attente. Toutefois, j’ai programmé cette inauguration au mois de novembre prochain.

Un grand projet, tout de même, ce musée… Quand j’ai commencé le chantier, l’on m’a demandé si j’étais devenu fou. Nous avons investi près de deux milliards dans ce projet. J’ai répondu à ceux-là, que si je suis devenu fou, c’est que mon grand-père, qui a bâti ce palais, l’était également. Voilà présenté en résumé l’effort que nous faisons pour préserver notre patrimoine. Nous aurons d’autres cadres pour échanger sur d’autres types de sujets, beaucoup plus personnels. Mais, il faut savoir que la tradition bamoun est très organisée. L’héritage se fait de père en fils. Néanmoins, nous avons eu une reine pendant 30mn : le reine Ngoungure. 

Ses phrases-choc


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