Admis à faire valoir ses droits à la retraite depuis 8 mois, l’ancien directeur de l’information à la Crtv-radio goûte aux délices d’une autre vie. Quand certains paniquent face à ce tournant, lui, à 60 ans, c’est tout sourire et avec des idées plein la tête qu’il traverse cette étape. Comme un «Signe des temps» sans «Le point d’exclamation », ses chroniques cultes, qui ont captivé ses auditeurs du Poste National. Entre travaux d’écriture, champs, ambiance familiale, l’exprésentateur d’Actualité Hebdo se réinvente. Dans l’intimité de sa demeure yaoudéenne, il a ouvert les portes de sa nouvelle vie à Nyanga, exclusivement.
Des sonorités jazzy s’échappent de la maison. Une belle bâtisse aux pierres apparentes. Nous appuyons sur la sonnerie. Pendant que nous attendons que le portail nous soit ouvert, notre ouïe capte des éclats de rire. Parmi lesquels, nous distinguons, celui un peu grave d’Alain Belibi. Justement, nous le retrouvons dans une conversation animée avec son gendre Georges. Après les civilités d’usage, le journaliste nous invite à prendre place à ses côtés sur la terrasse. Il est vêtu dans un style décontracté. Style qui contraste bien avec le costume et la cravate habituels des plateaux d’Actualité Hebdo. Il est 15h10mn, ce vendredi 14 août.
Alain Belibi joue au solitaire «Même si je ne le suis pas du tout», lâche-t-il, souriant, à la suite de notre question. «Il y a du monde ici. Si vous revenez dimanche, vous constaterez que l’on bien plus nombreux encore. Tous les dimanches, on se retrouve pour le repas dominical en famille. Mes filles (4) sont là avec leurs époux, leurs enfants. Et comme mon épouse est assistante sociale, il y a également des enfants que nous avons adoptés comme ça, qui sont là. Donc, je ne suis pas solitaire du tout. Je suis plutôt bien entouré», complète-t-il tout en continuant son jeu de cartes. Une partie qui s’achève par une victoire. Sa victoire
Un zeste d’agriculteur
On dirait un «Signe des temps», pour celui qui estime que la retraite n’est pas une sanction. Même s’il comprend ceux qui la considèrent ainsi. Pour lui, «C’est le front qui a changé. Le front, il y a quelques jours, c’était la radio, c’était la télévision. Le front aujourd’hui, c’est d’autres préoccu- D pations. C’est-à-dire que je me réveille le matin. Si j’ai un bouquin à lire, je lis. Si j’ai quelque chose à écrire –parce qu’il m’arrive toujours d’écrire- j’écris. Puis, je peux avoir d’autres occupations. J’ai une grande famille. J’ai beaucoup de visites. De temps en temps, je vais dans mes plantations. Voilà mon nouveau front», précise l’originaire du département de la Lékié. Mais c’est loin de ses terres natales qu’il s’adonne à sa fonction d’agriculteur. Une cacaoyère de 4 hectares occupe ses journées à Elat, une bourgade située sur la route d’Akonolinga.
«Dans cette cacaoyère, il y a également des bananiers et des arbres fruitiers. Je m’y essaye depuis à peu près 3 ans. J’ai eu la première récolte l’an dernier. Une toute petite. J’y suis allé récemment avec une équipe de spécialistes en la matière. Ils m’ont rassuré que cette année, la récolte serait meilleure », indique l’ancien directeur central à la Crtv radio. Pour cette expédition paysanne, Alain Belibi revoit de look. Jeans, T-shirt, survêtement et bottes en caoutchouc lui sont de bons alliés pour se mouvoir dans ce décor campagnard. Mais pourquoi justement le choix du cacao ? «Je n’ai pas grandi dans mon village, c’est vrai. Mais mon père mettait un point d’honneur à ce que nous allions au village, chaque mois de juin. Làbas, j’étais en contact avec le cacao. Parce que chez moi (zone de Sa’a), à cette époque-là, il y avait des cacaoyères partout. Je crois que ce sont ces souvenirs d’enfance qui ont motivé mon choix », assure- t-il. Pendant 45mn d’entretien, Alain Belibi se raconte. Sans langue de bois (d’ailleurs, il est reconnu pour son franc-parler dans le milieu médiatique). Avec une pique caustique à chaque fois, il se marre en se remémorant certaines anecdotes. L’entretien glisse sur le volet culturel. Là, on touche une fibre sensible.
L’homme étant un mélomane averti. Il vous épluche le répertoire de Brassens, Charles Aznavour, en expert. Du coup, l’on s’interroge pourquoi ne s’être pas spécialisé en journalisme culturel. Il nous interrompt dans notre pensée en ouvrant un thème sur la portée des messages véhiculés par les chansons du célèbre chanteur Arménien. On s’arrête un moment sur le titre «Toréador», question d’analyser la célébrité et ses vanités. «Aznavour dit dans cette chanson que «La gloire est frivole. Quand on la croit nôtre, elle s’offre à quelqu’un d’autre». C’est une chanson que j’aime particulièrement», avoue le fande K-Tino.
La célébrité, il l’a connue et la connaît encore. Assez pour savoir toute humilité garder. Son caractère justement frivole blesse certains, quand d’autres perdent carrément le Nord devant ses infidélités.
Papy bienheureux
Sa boussole de vie reste bien orientée sur sa famille. Sa base. Son refuge. Même si l’adrénaline des chroniques lui manque, auprès des siens, il est très heureux. Avec ses petitsenfants, il replonge en enfance. Il joue, rigole, lance de piques qui provoquent l’hilarité de tous. « Ces 38 ans étaient vraiment des années épuisantes. Si je peux prendre le temps de penser à moi-même, ce serait tout bénef», indique-t-il. Avec ses petits-enfants, il a une relation fusionnelle. Le petit dernier, qui porte d’ailleurs son nom, a toute son attention ce dimanche 16 août, lorsque nous y retournons pour la deuxième phase de ce reportage. Il faudra faire de grands signes au papy captivé par les fossettes de son « Mbombo » [homonyme en langue ewondo du Cameroun, Ndlr] pour qu’il daigne regarder l’objectif de notre photographe. On fera la prise plusieurs fois avant d’avoir le bon cliché.
Malgré son statut de « grand journaliste » adulé, journaliste dont l’expertise est quêtée ou le carnet d’adresses envié, il reste un homme d’une simplicité déconcertante. Des coups encaissés ont certainement forgé cette personnalité. Etre journaliste pour ce major de sa promotion est une école de vie. « Dans une carrière de journalistes, il faut beaucoup se dépenser, beaucoup dépenser, mais aussi avaler beaucoup de couleuvres. J’avais un enseignant à l’école de journalisme qui disait, face à toutes les difficultés qu’on rencontre dans ce métier : «si l’un de mes enfants me dit qu’il veut être journaliste, je veux le battre, jusqu’à ce qu’il change d’avis» (rires). Donc, ce que je dirais à ceux qui veulent se lancer dans ce métier, c’est qu’ils sachent que ce n’est pas une sinécure. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’on trouve sa voie dans ce métier. Il faut être tombé à plusieurs reprises et s’être relevé.
Et puis, il faut bien évidemment une implication personnelle de tous les instants. Parce que ce métier a la particularité d’être de ceux qui ne vous donnent pas des faits d’armes définitifs. Aujourd’hui, ça peut être excellent, avec une réaction du public extraordinaire. Et demain, tout retombe. Donc, je leur dirai de se préparer dans le moral d’abord à vivre ce type de situations », conseille-t-il à la jeune génération.
Le rêve continue
Malgré sa cessation d’activité à la Crtv, l’ancien Directeur central à la Crtv Radio a des méninges qui tournent à plein régime. Ouvrir un cabinet, pourquoi pas. Sortir un bouquin comme celui sur ses chroniques. D’ailleurs, parmi ses préférences littéraires figure « Les chroniques de Mvoutesi » de Guillaume Oyono Mbia.
L’enseignement le tenterait, même s’il y baigne depuis 1981 (trois ans après sa sortie de l’Ecole Supérieure Internationale de Journalisme de Yaoundé. « En ce moment, je dispense quelques formations au Centre de formation de la Crtv à Ekounou», précise l’ancien chef du service Sport de Radio Cameroun. En attendant de tout ficeler, Alain Belibi profite au max de ses journées de repos. La compagnie de ses copains est un opium. Celle de sa famille un baume adoucissant qu’il ne saurait ignorer. Surtout que sa Judith, leurs enfants, gendres et petits-enfants le lui rendent bien en mode « Mado, on s’en va » ! Ne nous demandez surtout pas la signification de cette phrase. C’est un secret bien gardé. Peut-être au prochain reportage, qui sait…